«Le Joueur» de Serge Prokofiev

Le deuxième opéra de Serge Prokofiev intitulé «Le Joueur» («Igrok» en russe), inspiré par le roman de Fiodor Dostoïevsky (1821–1881), composé en Russie en 1916, revu à Paris en 1928, représenté à Bruxelles au Théâtre Royal de la Monnaie le 29 avril 1929, appartient à la deuxième phase de l’évolution créative du compositeur qui la formula en 1941 comme «période d’introduction d’éléments nouveaux».

Sous l’influence de Serge Tanéiev (1856–1915) qui trouva son langage harmonique quelque peu élémentaire, Serge Prokofiev part à la recherche de couleurs harmoniques individuelles et de moyens d’expression aptes à reproduire de fortes émotions, éléments qui caractérisent sa Deuxième symphonie, sa Suite scythe «Ala et Lolly», ses Sarcasmes pour piano et, notamment, son chef-d’oeuvre, l’opéra «Le Joueur», op. 24 en 4 actes et 6 tableaux.

La recherche de couleurs harmoniques individuelles se manifeste par l’éloignement ou l’abandon d’une tonalité définie, obtenu par l’incursion d’harmonies complémentaires et l’élargissement de la tonalité indicative (la mineur en ce qui concerne le premier acte du «Joueur»), permettant l’exploration de sphères harmoniques assez éloignées et la formation de nouvelles unités harmoniques. Le système tonal indicatif ainsi enrichi perd son identité proprement dite et enrichit à son tour l’expression sonore d’un effet dramatique saisissant. Mais le lyrisme qui caractérise la dernière phase du travail du compositeur (d’après lui-même) n’est pas absent. Il colore d’une manière particulière les personnages, peut-être moins leurs caractères que la traduction sonore de leurs composants psychologiques. Ces derniers résultent de la conception et de l’interprétation logique des personnages de Dostoïevsky par le compositeur.

Ils sont tous verbalement dépeints à l’avant-propos de l’oeuvre. Que l’action se passe à Roulottenbourg-lès-Spa (ville imaginaire où Prokofiev la place en 1865), à Baden-Baden ou ailleurs, les personnages qui s’y meuvent provoquent des réactions de la part du compositeur, qui s’efforce de remplacer dans sa partition la description picturale par une motivation psychologique. Les résultats ainsi obtenus sont énormes: nous sommes en présence du premier opéra contemporain dans le sens esthétique, harmonique et scénique du terme, conçu au vingtième siècle.

Voya Toncitch